Renouer avec la parole autour de la mort et avec les endeuillés reste la meilleure façon de supporter la perte d’un proche. Un suivi permet d’élaborer l’ambivalence inconsciente souvent à l’origine de la persistance de la dépression. L’art-thérapie orientée par la psychanalyse se positionne comme une sorte d’expression silencieuse qui prend possession du sujet en souffrance. L’expression qui n’a pas trouvé la possibilité d’être rejetée, exprimée, et encore moins entendue. Quand les mots ne peuvent être dits, le sujet se trouve coincé, dans l’impossibilité d’appeler l’autre, en attente d’un destinataire.
Madame Violette avait perdu brusquement le sens de sa vie. Elle venait une fois par semaine en consultation, c’était une patiente dont l’époux a disparu dans un accident de voiture. Les dispositifs d’aide à domicile étaient déjà mis en place, orthophoniste, kiné, APA, elle était prise en charge, mais seule. Ses trois enfants vivants également loin d’elle.
Lors de nos entretiens, elle me raconte que son mari s’occupait de tout le côté administratif avec son comptable. Et là, elle était perdue devant toute cette paperasse qui s’accumulait. Pour pallier ces difficultés, sa fille fait venir une secrétaire pour faire le tri de tous les papiers.
Le mari de madame Violette est décédé depuis deux ans.
Pendant toute une année, j’ai pris des médicaments pour ne plus me souvenir, pour ne pas avoir mal. J’ai pris conscience que je ne maîtrisais plus rien, je ne faisais plus rien.
Madame Violette
Après un malaise, son médecin généraliste, lui a ordonné de tout arrêter.
Vous vous rendez compte, je ne me rappelle pas avoir rédigé la liste des personnes pour les obsèques de mon mari.
Un matin, elle s’était réveillée avec une énorme douleur dans les genoux qui l’empêchait de marcher. La mort de son époux lui avait « coupé les jambes » à l’idée de continuer, sur le chemin de sa vie. Terrifiée, sans plus savoir où elle allait. Malgré cela, elle est venue à notre rendez-vous hebdomadaire. La séance commence et je lui propose de partir en voyage.
« Oh…, vous savez, je ne vais pas aller bien loin.
Je commence à lui raconter un récit d’explorateur. Des mots, des images, des couleurs, des souvenirs qui défilent. Ces yeux brillaient.
Je dépose devant elle une série de photo : des paysages, des animaux, des œuvres d’art, des hommes, des femmes et enfants. Je l’invite à choisir des photos et lui demande de raconter ce à quoi ces images lui font penser. Elle commence à raconter, elle rit, pleure, s’émeut, vit. Ses paroles s’enrichissent de silences. Après ce moment, je lui propose d’écrire à quelqu’un. Elle veut écrire à son époux. Madame Violette a glissé ce papier dans une enveloppe et l’a gardé contre son cœur. Séance après séance, madame Violette a retrouvé le sourire, a surmonté des obstacles et veut rencontrer d’autres personnes.
La perte du conjoint et la perte du réseau d’amitiés génèrent un isolement et exacerbent le sentiment de solitude. L’art thérapie se révèle alors être une invitation à rencontrer la matière, à explorer, à bricoler avec des supports mis à disposition : parfois des objets hétéroclites mêlés aux outils de l’art que sont la peinture, le dessin, le théâtre, l’écriture… coûtant l’ouverture poétique, ouvrant à la multiplicité… Mais, ici, à la différence de l’art, ce n’est pas le produit fini ni la recherche esthétique qui nous intéresse, mais bien le processus thérapeutique soutenant ce soin psychique.
La rencontre du sujet avec l’acte poétique permet de rendre possible son expression libre et sans entrave et d’être entendu autrement, sans aucune attente ou jugement. Cette liberté lui permet de s’explorer plus intimement à travers sa création. Le sujet est invité à des intervalles de respiration psychique indispensables. Le sujet pourra, petit à petit, retrouver le désir de désirer à travers le plaisir du jeu ouvrant à son « Je »…
Marie-Claire Benetti Papadacci
Art-thérapeute RNCP, psychanalyste certifiée et auteure Nombre7